En 2007, homme à lunettes

Publié le par Mademoiselle S

Décembre 2008

J'ai passé la nuit à me tourner et à me retourner sans fin dans le lit aux draps de coton. Et le sommeil ne venait pas. Sort tragique, c'est quand j'ai éteint la première sonnerie du réveil, et que je me suis retournée pour quelques minutes de répit que j'ai trouvé la position parfaite, reposante, et que j'ai enfin goûté au sommeil. Mais qu'importe, il a fallu se lever, se diriger vers la salle de bain, et commencer à se réveiller par ce triste constat : la tête du matin. Qu'est-ce qui m'a empêché de dormir? C'est pourtant le dernier jour de boulot avant les vacances de Nöel today. Je me brosse les dents dans un tâtonnement mental. Ah, je sais. 40 secondes de brossage. Au fond, voilà ce qui m'a empêché de dormir. Petite et moi parlions du premier baiser hier, et là, vlan, comme un mauvais souvenir, le détail refoulé m'est revenu. C'est moi qui lui ai dit : " embrasse-moi". C'était il y a un an, presque jour pour jour. Sous le gui de Nöel, un peu exaspérée, je lui avais demandé. Ca sonnait drôlement romantique dans ma tête pourtant, ce geste-là.  Je suis dérangée par bien plus en fait. Je l'ai rencontré de façon on ne peut plus classique. J'étais remplaçante, il était titulaire. Nous étions profs de lettres. Cette année là, en 2007, je redoublais mon capes pour renouer avec mes amours, et l'amour m'a sourit. Il est discret comme garçon. Un peu effacé, derrière ses petites lunettes. Alors il use d'un charme fragile, sans doute celui qui me donne - à moi rien qu'à moi- de l'autorité ou de la présence quand je suis avec lui. Il est doux, affreusement doux. Il et balance, comme moi. Littéraires et balances, forcémment on s'est entendu. 1 minute 10 de brossage. Il est beau quelque part. Beau dans son signe. Ni trop grand, ni trop petit, ni trop engagé, ni pas assez, ni trop, ni pas. C'est le règne de la raison entre nous. On ne se dispute jamais : on pèse le pour, le contre, et on tranche. Du coup il est agréable à vivre, si on passe sur sa grande délicatesse gastronomique et mes piètres prestations culinaires. Il est féministe, respecte mon corps, repose mon âme et je peux le sortir partout, en toute circonstance. Oulàlà, c'est ma mère qui était contente quand je l'ai ramené à la maison. Le gendre parfait. Le mec parfait aussi d'ailleurs. On avait le packaging physique : ni piercing, ni cheveux longs, ni vetêments troués et le package E.N : MGEN/ MAIF/BRED. Que rêver de mieux. Je suis heureuse quand même. En fait je minaude, c'est sûr. 1minute 43 de brossage. Pourquoi je minaude? Ah oui, c'est moi qui ai demandé de m'embrasser. Clairement, il est tiède ce garçon. On avait inventé un critère, Petite et moi, pour choisir un homme : il fallait qu'il soit cap' de nous mettre une fessée. Eh bien c'est sans doute la seule épreuve où il échoue. Mais il faut se méfier de l'eau qui dort. Enfin, pas ce sens là. Non, il est plutôt comme moi, dans le genre petit chat sournois. Il fait l'air gentil comme ça, mais je le soupçonne de nourrir de vrais mauvais sentiments à mon égard. Au fond, en plus d'être tiède, je suis sûre qu'il ne sait pas s'il faut me cracher du venin ou m'admirer. J'explique. 2 minutes de brossage. J'ai fait tout ce qu'il aurait rêvé de faire pour sortir de sa tiédeur. J'ai été élevée par Paris, j'ai dansé sur des bars, j'ai bu, j'ai flirté avec nombres d'ostéopathes. C'est rien, mais pour lui c'est tout. Je peux jamais en placer une sur la Sorbonne, symbole trop criant de mes années brûlantes. C'est ça, il est jaloux. Et c'est sans doute pour ça aussi qu'il m'aime. Il aime ce qu'il n'a pas osé faire. Il est si doux, si gentil, si tiède. Mais faut se l'avouer ma vieille, tu fais pas mieux. Oui moi aussi je suis jalouse. De son talent. C'est un génie de la littérature et de la linguistique, le champion toute catégorie. Jamais il a redoublé. Jamais il ne s'est planté. Et là où ça fait mal, c'est quand je dois avouer qu'il a un an de moins que moi. Il a sauté une classe. Je suis sûre que s'il était moins tiède, moins rangé, il pourrait écrire, vivre, me faire pulser. C'est ça aussi le souci, de vivre avec quelqu'un avec qui on bosse : la compétition sournoise. Il corrige mes fautes d'othographe dans mes préparations de cours et l'année prochaine, je suis sûre qu'il comparera nos notations par l'inspecteur. Sa navigation en eau calme me permet de rester qui je veux, cependant, et c'est pas plus mal. 2 minutes 20 de brossage. J'achète, je dépense, je m'habille et je me coiffe comme je veux. D'ailleurs aujourd'hui je vais me faire belle. Pour le pot de fin d'année, hin. Pas pour le prof de philo engagé communiste, ni pour le prof de sport au sourire ravageur, encore moins pour le prof de bio au regard complice. Nonnn, ma vieille, t'y pense pas. Faut pas culpabiliser, c'est juste qu'entre lui et moi, c'est l'amour de la raison, il n'y a jamais eu de passion. C'est pas plus mal non plus : la passion se consume, les choix raisonnés restent. On cotisera ensemble, on partira à la retraite ensemble et nous aurons toutes les vacances pour nous aimer ensemble. D'ailleurs demain on part ensemble pour Paris. Les Djeun's nous laissent l'appart. Il va chavirer quand il verra le mur de photo. 2 minutes 47 de brossage. Je pense au Chat. Mon ami le Chat. Il a toujours eu pour principe de destester mes copains. Il va te rouler. Il te mérite pas ou encore je l'aime pas ponctuaient invariablement ses constats, et d'une façon si rhétorique que je n'y prenais plus garde. Sauf pour celui-là où le chat avait dit " Il fait l'air honnête". Il était d'accord. C'est là que j'aurai du me méfier. 3 minutes réglementaire de brossage. Il faut que je l'appelle, le chat. A six heures 3 du matin, il n'y a qu'à lui que je puisse raconter ma terrible découverte : avec l'homme idéal, je ne serai jamais heureuse. Je pose ma brosse à dent, et décroche mon téléphone.

Publié dans  Carnet des Garçons

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V
très drôle! que d'imagination.... L'avantage, c'est que la personne dont on tombe amoureux ne correspond jamais vrailment à nos critères, ni nos prières!
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