En 2007, de carrière militaire
Janvier 2009
Je suis assise en face de la bougie au milieu de la table. Elle est parfaitement au centre du milieu du nombril de la table. J'ai passé énormement de temps à faire en sorte que les choses soient carrées. Il va bientôt rentrer pour dîner. Le dernier dîner avant des mois et des mois. Il est militaire. J'ai pas cherché loin. Mon oncle était marin. Il a des copains marins qui ont des fils marins. Celui-là est devenu le mien. Il a les mains carrées, les épaules carrées, il est carré. Comme un militaire. Pourtant il ne cumule pas les clichés habituels. Pas tous. Il aime bien l'art et les musées, il lit, regarde la télé. Mais le métier s'affirme dans beaucoup de ses traits de caractère. Il est méticuleux. Pas tendre. Les épanchements c'est pas pour lui. Non, lui il préfère vous construire une maison. Quand il reviendra, dans 7 mois, on emmenagera dans notre case à nous. Celle qu'il achèvera de construire assez aisémment. C'est un mec de la vieille génération. Plutôt bénef pour moi qui arrivais plus à me dépatouiller des hommes élevés par leur mère. Celui-là est pour le partage des tâches : moi je cuisine, lui il construit, et certainement pas l'inverse. Heureusement qu'il est pas sur mon dos tout le temps quand même. Mais 7 mois, c'est pas rien. Et se sera souvent comme ça. J'ai bien vu ma tante. Quand son mari est revenu, le petit dernier a hurlé de peur en voyant un père... qui n'était pas là le jour de sa naissance, ni les18 mois qui suivirent. C'est comme ça un marin. Et puis, les femmes. Il n'aime que moi , je sais, mais il aime les femmes. On a aussi des problèmes de communication. Là par exemple, ce dîner, il sera très à l'aise avec les 4 couverts, c'est pas le souci. Mais plutôt, il ne saura pas comment me remercier, et il va installer une gêne dérangeante durant toute la soirée; souvent il pousse même son comportement dans la tranchée " je te dirais pas merci, parce que c'est moi le mâle et que je sais que tu sais que je te remercie". Du coup ma principale oreille reste mon carnet de vie. Celui de mes 25 ans. Est-ce que je pourrai vivre longtemps comme ça? Avec un homme absent, à perfectionner ma cuisine, et à me heurter contre un mur masculin de refus sa part de féminité? Quand je vois comment au fond, je me sens soulagée de son départ, j'me dis que non. Pouf, la bougie s'éteint.