En 2007, mon chat

Publié le par Mademoiselle S

Octobre 2008

Je raccroche mon téléphone. J'ai oublié de lui demander de prendre du persil. Il fait pas beau today, mais heureusement que ma cuisine rouge  bénéficie d'une bonne exposition. Je me plains pas trop, j'aime bien le vent d'hiver. Je prépare un repas d'amoureux. Tout ce qu'il aime. J'étais au téléphone avec lui, mon chat. On a finit par franchir le pas en 2007. Tout le monde a poussé un soupir de soulagement : enfin la fin d'une histoire, sacrée histoire. Dans le genre l'homme de votre est peut-être plus proche que vous ne le pensez. C'était mon meilleur ami avant. Il avait sa femme, moi j'avais ma vie. Pour déconner on s'était fait une promesse, le vieux truc de la roue de secours.  Si à trente ans il était célibataire, et moi aussi, on se marierait. On se supporterai, on aurait un enfant et tout le monde aurait eu la paix. On a même passé de longues années à fixer les termes du contrat de notre vie commune, au gré des services demandés et des confidences sur l'oreiller. Enfin, le coussin du salon. Et puis voilà, en 2007 il a eu 27 ans, moi 23, et lui plus de femme.  Et moi j'ai récupéré un homme. C'était comme une évidence pour moi, une faim longtemps endormie, qui avait virée à la crampe, au vide dans l'estomac, le truc qui ne vous fait plus mal depuis longtemps. Et un rayon lumineux avait  traversé ma pupille. Ou plutôt la sienne : les choses se sont faites, naturellement. Je n'ai pas de problème avec moi, ni avec lui d'ailleurs. Moi je l'aime, c'est sûr. Je ne sais pas si je l'aimerai toute ma vie, mais vu la façon dont je torture ces petites crevettes pour qu'elles soient belles mêmes revenues au miel, je pense pouvoir affirmer que je l'aime. Il en va de même pour la déco, soignée, pour mon corps, presque parfait pour ses mains. Nous n'avons qu'un seul sujet de dispute, important mais pas insumontable : la religion. Il ne supporte pas mes pratiques payennes, alors qu'il jette lui même très loin ses principes chrétiens une fois le caleçon en bas du lit. Qu'importe. Je n'ai pas eu à changer mes sentiments ou à faire des gymnastiques psychologiques pour passer de l'ami à l'amour. Non c'est juste comme si j'avais ajouté à mon ami un amant. Un homme , un enfant dont il faut s'occuper de temps en temps, et un mari. Il est PE. Et il commence à aimer ça. Je trouve même qu'il s'améliore sacrément. Les enfants sont captivés par lui et il fait preuve d'une patience à toute épreuve. Du coup quand il rentre à la maison, finies les gamineries, j'ai un homme avec des préoccupations d'hommes; en clair, plus de PS2. Ca soulage. De toute façon il se bonifie avec l'âge de façon générale. J'aimais bien son côté chien fou du début de notre rencontre mais maintenant qu'il est plus posé, il dévoile une force non négligeable. Il y a juste un horizon d'attente qui a été infirmé. En devenant son officielle, je pensais récuperer par la même occasion la clef du domaine appelé " mon coeur", ou même un passe partout amante-amie-amoureuse. Mais non, il garde toujours autant ses propres préoccupations secrètes. Je ne possède pas son coeur et je ne sais pas lire dans ses yeux clairs. Même si je suis heureuse aujourd'hui, les débuts n'ont pas été facile. Enfin pour lui je suppose. Moi, à part ses cartons partout dans l'appartement, du jour au lendemain, j'ai géré. De toute façon j'étais prête pour un homme depuis déjà longtemps, dans l'attente silencieuse de sa venue. C'est plutôt pour lui. J'pense que maintenant ça va pour lui. Il a ses habitudes avec moi, ses marques avec moi. Même s'il dit rien. On se comprend. Il me dit je t'aime. Une fois par semaine, ce qui est un bon quota pour ne pas tomber dans la mièvrerie. Mais le passé et son opacité faisant, je me demande s'il m'aime vraiment. Si j'avais été une inconnue pour lui, sur le parking de mon immeuble, le seul soir où je l'ai vu pleurer, serait-il tomber amoureux de moi. Je sais qu'il n'entretiendrait jamais une femme pour la société : être étiquetté célib ou en couple n'est pas une préoccupation pour lui. Je me demande juste s'il ne le fait pas par résignation à son destin. C'est un grand chevalier dans l'âme. C'est d'ailleurs ce qui a failli sauver son précédent couple. Il donne tout, il n'a qu'une parole. Alors une blague chez lui, même petite comme un substitut, a valeur. Il fera toujours tout pour que je sois heureuse, il l'a promis. Alors pourquoi pas ça. Dans une sorte de résignation pour avoir perdue une femme, autant se rendre utile à l'humanité et s'occuper d'une névrosée? Je me fais des films, il m'aime quand même. Je le sais quand il me mord ou quand il m'etouffe dans ses bras, ou qu'il me chatouille pour me faire me sentir vivante. Je le sais quand il frotte mes pieds quand je prends mon bain et qu'il me sèche lui-même. Je le sais quand il il me raconte des histoires pour dormir, après l'amour. Il paraît que certains hommes s'expriment par là tiens. Quand ils aiment une femme, ils le lui prouvent en lui faisant l'amour. C'est peut-être ce qui a permis à nos débuts, que je sois si tranquille et sereine. Je n'avais jamais su que l'on pouvait avoir conscience d'exister durant un moment délimité, avant d'être passée par ses mains. C'était peut être ça le souci. La passion s'évacuait de lui en dehors de ces moments bénis, craquelant la fusion dans laquelle nous vivions. Tout au fond, je sais qu'il y a encore ce chien fou qui aimerait aller vivre au japon, et changer de vision des choses, et répondre à tous les non conformismes. Il est peureux, il a besoin de motivation, ou d'accompagnement. C'est juste que parfois, je fais l'air d'être justement l'inverse. J'me fais des films, c'est pas possible purée. La faute au passé ma vieille. C'est sûr que de faire sa vie avec un homme qui a signé un morceau de papier sur lequel sont consignées les instructions de votre vie de couple, se faire rabibocher tous les jours un peu plus par un homme qui a promis de toujours prendre soin de vous, avant même de vous épouser, c'est destabilisant : où est l'amitié, où est l'amour? J'ai parfois l'impression de l'emprisonner dans sa cape rouge et son cheval blanc. Alors que par amour , je l'ai toujours poussé à chercher cette passion à l'état de braise. Je l'enferme. Les oignons me piquent les yeux, il faut que j'arrête. Que je tranche cette maudite poire : c'est pas une vie que d'osciller comme une pendule. Soit je clos le chapître et je suis heureuse avec lui. Soit je le remets sur le marché. Et je verrai bien s'il me revient. Ce soir, après le dîner, je lui annoncerai ça. Que je le libère de moi durant quelques mois. Je l'aime trop pour l'assujetir à un destin qui n'est pas le sien. Du coup j'ai plus faim, mais la table est déjà dressée.

Publié dans  Carnet des Garçons

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F
Votre style est très plaisant, je vous encourage à continuer !<br /> J'attends la suite avec impatience!
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L
trois romances en trois jours... je dis BRAVO! ^^ RDV dans un an, pour voir si tu as des dons de prémonition. <br />  
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