Les parenthèses

Publié le par Mademoiselle S

" - Je me pose une question : est-ce que je dois t'embrasser ou pas ? "
Celle-là, je ne l'avais pas vue venir. Ma cuillère reste suspendue au dessus de la chantilly de ma glace, café liégois. Il fait chaud, il y a du bruit dehors, c'est la gay pride dans les rues.
Je suis à Paris, à la terrasse d'un café, le Sorbon, tout près de la Sorbonne. Je suis avec un garçon, un autre, dont je n'ai jamais parlé ici auparavant. Je l'ai rencontré cette année, et j'ai fait le tour de sa grande personne. Il est souvent fort, presque toujours malin ( il croit qu'il fait le malin là d'ailleurs) , et carapacé. Il est en couple, évidemment. C'est monsieur Secret. Comme souvent la vie me tend des perches absolument improbables, il se trouve que nous sommes assis tous les deux à la terrasse d'un café parisien. Dans le feu de nos déplacements professionnels,  nous avons réussi à nous ménager une mi-lune de miel. Il a été miel durant les 12 heures d'avion, puis de plus en plus miel durant les jours de nos tribulations parisiennes. Et tiens, là, voilà un homme qui enlève sa carapace.
Il se demande si, une fois chacun rentré dans ses pénates, je ne vais pas lui sortir de la carte de la femme désespérée, l'amante lesée, celle qui a cru au miel, celle qui voudrait garder le pot. Ah bon, je pourrais penser ça, moi ? C'est une option possible ? Je pourrais croire qu'il m'envisageait sur le long terme ? Et donc être deçue par la suite ?
Ce qu'il y a de bien avec la mémoire, c'est qu'hormis la cicatrice qui traîne sur mon épaule, celle en forme de croix, la mémoire oublie. J'avais oublié, en effet, qu'à une époque, je pensais vraiment que les hommes qui ouvraient une parenthèse avec moi envisageaient de ne jamais la refermer. Et là, assise dans les mêmes terrasses de café, sous le même soleil parisien, je mesure le temps parcouru, entre mes 20 ans et mes 25. Evidemment que non, il ne quittera pas sa femme pour moi, et évidemment que oui, de retour chez nous, il baisera d'autres mains, un autre cou, d'autres paupières que les miennes. Et ça ne me heurte même plus. Les garçons sont safe, je l'ai expliqué déjà.
J'essaye de lui expliquer ça, maladroitement, en étouffant les nausées de ma conscience : combien de temps encore serais-je juste une parenthèse intéressante pour les hommes ? Est-ce que c'est moi qui m'investis dans ce rôle ?
 Il me dit qu'il est imprévisible et je souris (c'est mieux que de pleurer ) car je savais d'avance que c'était le genre d'homme à toucher ma main d'un doigt au restaurant, en public, en présence de sa femme, pour me demander si je reprenais de l'alcool. Là où, dans l'intimité permise par les 10 000 kms, ma main est dans sa bouche, dans ses cheveux, dans son dos. Tout comme il est prévu qu'une fois rentrés , il marchera à trois pas de moi, et ne me soufflera plus dans le cou que lorsque nous serons seuls. Prévisible aussi le fait que, effrayé par ma non-peur de son corps, il rompe le contact quelques temps.
Cependant, pour l'heure, il me semble qu'il n'y a là rien de plus bénéfique à faire que de profiter de sa présence, de son intelligence, et de son corps. Car c'est un homme remarquable. Quand vais-je finir de brûler ma vie par tous les  bouts ? Je suis censée être là pour des raisons professionnelles importantes, décisives, et au lieu de ça, je goûte aux baisers d'un homme, je mange des glaces, et je vais à la comédie française. Petite rentre ce soir, je vais la revoir, ça fait un an déjà.

Publié dans Carnet de Vie

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C
C'est bizarre je pensais avoir laissé un message pour celui ci ....
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